A propos de « Liberté, Egalité, Fraternité »

Je reproduis ici l’intervention de Philippe Papin, élu écologiste au conseil régional, prononcée le 5 février 2015. Elle nous amène plus loin que les apparences.

Liberté, Egalité, Fraternité,
Nous venons d’exprimer collectivement notre attachement à ce qui symbolise l’institution républicaine.
De liberté, depuis le 7 janvier on a surtout parlé de liberté d’expression, pour la défendre bec et ongles contre ceux qui ont osé la bafouer ; contre ceux qui voudraient nous museler, nous avons démontré combien nous sommes prompts à la révolte.

Et pourtant.

S’il n’avait connu ce tragique destin, Charlie Hebdo serait probablement mort prochainement et peut-être même cette année. Assassiné aussi, mais de manière plus insidieuse, sans que quiconque ait besoin de mandater 2 abrutis pour en faire un carnage. Assassiné par strangulation économique, il se serait éteint dans une relative indifférence, comme risquent de disparaître de nombreux magazines d’opinion, ceux qui véhiculent d’autres réflexions, d’autres éclairages, d’autres analyses.
Car au pays de la liberté d’expression, il est aujourd’hui difficile pour un journal indépendant de survivre, s’il n’appartient pas à messieurs Dassault, Lagardère, Rothschild, Pinault ou Bolloré. Des groupes de presse où est garantie la liberté d’expression certes, mais ou le dogme du libéralisme mondialisé n’y est égratigné qu’avec circonspection, et ou la critique du capitalisme y est disons, mesurée.

Au pays de la liberté d’expression, si les fonds publics soutiennent la presse écrite, c’est en abondant essentiellement les budgets des principales publications, et donc directement les dividendes de leurs actionnaires, cités plus haut.
Au pays de la liberté d’expression, le magazine Closer reçoit une aide publique trois fois supérieure à celle du Monde Diplomatique, à hauteur on imagine de leur contribution respective à l’enrichissement du débat public…
Gageons qu’à la faveur de sa nouvelle et tragique notoriété, Fabrice Nicolino trouvera une audience digne de la pertinence de ses propos et contribuera avec d’autres, à donner un peu de sens à la grande messe environnementale qui se prépare pour la fin de l’année.
Gageons que le grand public aura la curiosité de relire et de réécouter les analyses de Bernard Maris. Qu’il découvrira par la même occasion que les soit disant règles économiques qu’on nous oppose n’ont absolument rien d’intangible et qu’elles sont battues en brèche par nombre de penseurs, par nombre d’analystes, par nombre de journalistes, dans d’autres médias, que dans la masse de ceux qui distillent la « bien pensanse » et la conformité aux schémas des puissants.

Liberté Egalité Fraternité
De fraternité on a aussi essayé de parler depuis le 7 janvier, mais avec moins de gouaille, avec moins d’assurance. Au-delà de la fraternité de circonstance avec nos concitoyens musulmans qui n’a d’ailleurs été que feu de paille, il n’était que d’évoquer l’accueil des immigrés ou le sort réservé aux Roms pour se rendre compte que sur le sujet, on flirte rapidement avec les limites de l’exercice.
Liberté Egalité Fraternité
D’égalité on n’a pas parlé, d’ailleurs on ne sait plus comment en parler. Pourtant, comment ne pas faire le lien. Comment ignorer avec autant d’insistance, cachés derrière l’exaltation de quelques réussites, des pans entiers de notre jeunesse laissés en jachère. Des pans entiers de notre société exclus, méprisés, relégués dans la rancœur et la frustration.
Notre démocratie est dangereusement malade de ses inégalités. C’est une chimère de penser que nous pourrons indéfiniment faire croire à des millions d’exclus, qu’à force de donner à ceux qui ont déjà, on finira par les sortir de l’ornière ; qu’à force de poursuivre les mêmes politiques, les mêmes causes finiront bien par ne plus produire les mêmes effets.
Et voilà que pour enfoncer le clou, dans cette tragique circonstance, les populations marginalisées sont encore une fois stigmatisées, suspectées, on l’a entendu, de se tenir « à l’écart des valeurs de la république ». Mais qui renie les valeurs de la république ? Ceux qui sont tenus à l’écart du festin, ceux qui sont tenus à l’écart du travail, ceux qui sont tenus à l’écart de la reconnaissance sociale ? Ou ne serait-ce pas plutôt la république elle-même qui prend ses distances avec ses propres valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité ?

Notre démocratie est dangereusement malade de sa représentation et nos concitoyens sont de plus en plus nombreux, à ne plus y croire et pas seulement les plus défavorisés. Tous ceux qui, lorsqu’ils les écoutent encore, sont fatigués des discours creux, des pseudos débats qui ne sont plus que des slogans d’une campagne électorale permanente, des promesses et des engagements qui ne prennent même plus la peine de dissimiler leurs propres reniements. Tous ceux qui n’ont nulle envie de devenir les jeunes milliardaires qui ont la faveur de notre fringant ministre de l’économie, qui refusent la compétition fratricide, qui ont l’intelligence de comprendre que lorsque dans ce jeu stupide on aura fini de construire des hôtels sur toutes les cases rouges du Monopoly, il ne servira plus à rien d’avoir gagné, puisque la partie sera finie.

Pour improbable qu’elle était encore hier, nous avons tous conscience que cette situation pourrait nous conduire demain à la catastrophe. Nous conduire démocratiquement à la catastrophe.
Nous ne l’éviterons pas par des mesurettes qui ne font qu’effleurer l’essentiel, et encore moins par des petits calculs politiciens minables. Il nous faut d’urgence partager, partager l’espace, partager la ressource, partager le travail, oui, partager le travail. Mais d’abord et d’urgence, il nous faut partager le pouvoir.
C’est aujourd’hui la responsabilité de toutes nos chapelles politiques de casser les cloisons et d’ouvrir notre démocratie à une juste représentation politique des intérêts du peuple. (Je sais, le mot fait un peu ringard et c’est bien le problème)
Les prochaines élections régionales peuvent à leur mesure répondre à cet enjeu. J’ai déjà évoqué ici ce que pourrait apporter une juste représentation de la jeunesse dans cet hémicycle, avec pas moins d’une vingtaine d’élus de moins de 30 ans et pas seulement des premiers de la classe. Ajoutons-y une plus juste représentation des chômeurs, par des chômeurs, des précaires par des précaires et alors j’en suis certain, le partage des richesses et l’enjeu climatique deviendraient prioritaires dans nos politiques publiques, et dans l’affectation de leurs ressources.

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1 commentaire

  1. Marie-Agnès :

    Intervention très intéressante et pertinente qui permet de prolonger la réflexion pour affiner et compléter l’analyse de notre société aujourd’hui.
    On sait, et on vit, la finance toute puissante dans ce monde qui creuse inexorablement le fossé entre les possédants du savoir, du pouvoir et les exclus de toutes conditions.
    Cà fait du bien de savoir que d’autres dénoncent et proposent des changements radicaux pour aller vers une société humaine et respectueuse où chacun a tout à gagner. La vie est tellement
    courte… c’est dommage d’être obligé de mettre tant d’énergie pour une société désormais bien mal en point.
    J’adhère aux pistes d’ouverture évoquées, car il est vraiment urgent de partager.
    Merci pour cette contribution.

    Le 10 février 2015

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