Décroissance ou développement durable

Lettre à Alternatives Economiques, janvier 2005

 

Merci pour votre récent numéro spécial sur le développement durable. L’article présentant le débat « Décroissance ou développement durable » est à mon avis beaucoup trop restrictif, surtout pour une revue qui s’appelle Alternatives économiques. Je vous livre ci après quelques éléments qui pourraient donner lieu à d’autres réflexions dans vos prochains numéros. Osons parler d’alternatives économiques !

 

Je partage votre point de vue sur le fait que « la décroissance ne constitue pas, en tant que projet, une alternative crédible pour se substituer à notre modèle de développement ». Pour moi, la décroissance est nécessaire mais pas en tant que modèle économique alternatif : elle est nécessaire comme chemin pour sortir du modèle actuel, de plus en plus nuisible socialement et écologiquement. A nous d’imaginer et de créer un nouveau modèle économique. Quel(s) nouveau(x) modèle(s) économique(s) proposer ? C’est là que j’attends des réflexions, un débat, à travers vos colonnes et ailleurs. L’imaginaire collectif est presque totalement englué, prisonnier de la pensée unique qui présente le libéralisme comme l’unique modèle. Il est urgent de libérer cet imaginaire et d’affirmer qu’un autre monde est réellement et concrètement possible.

 

La décroissance propose un comportement qui sera primordial dans le nouveau modèle à bâtir : la sobriété heureuse, la simplicité volontaire. A terme, il s’agira de vivre dans un modèle de société équilibré, il ne sera plus nécessaire de parler de décroissance. Les éléments de base que je vois pour ce nouveau modèle sont les suivants :

 

Une économie fondée sur le partage équitable des richesses : nous avons largement de quoi subvenir aux besoins de chacun. Nous sommes aujourd’hui en Occident dans une économie de surproduction : il y a trop. Sans doute pas de tout mais de beaucoup de choses. Il y a largement de quoi assurer la subsistance de chacun. Et même à l’échelle de la planète si nous le décidons. Notre tâche est de partager correctement ce que nous créons : entre le Nord et le Sud, dans chaque pays. Ce devrait être d’ailleurs aujourd’hui notre plus grand défi ! Pour ce partage équitable, déconnectons, au moins partiellement, les revenus de l’emploi, instaurons un revenu de citoyenneté comme ce qui existe en Alaska et qui a été testé avec succès en Namibie, intéressons-nous à la théorie économique du distributisme, modifions le système de création monétaire en le rendant à l’Etat et en supprimant les taux d’intérêt (dans le passé, partout où l’expérience a été tentée, elle a généré un niveau de vie bien meilleur… avant d’être sabordée de façon violente), supprimons la bourse, institution hautement nuisible qui monopolise plus de 95 % des échanges monétaires, créant ainsi la seule rareté économique aujourd’hui en Occident : la rareté de l’argent pour les échanges économiques ordinaires.

 

Une économie fondée sur le respect de la nature, de la Terre, de tous les êtres vivants : les catastrophes actuelles auront au moins le mérite de nous aider à intégrer une nouvelle croyance, chère à Daniel Quinn, philosophe écologiste américain et auteur du roman « Ishmaël » : l’homme fait intégralement partie de la nature, il n’en est pas distinct. Pour respecter la nature et la vie, intégrons dans le prix des produits et services leur coût énergétique, écologique et social, relocalisons l’économie en privilégiant les circuits courts : produisons et consommons localement le plus possible : agriculture, artisanat, services, et même énergie en misant sur les énergies renouvelables, en favorisant les capteurs solaires.

 

Une économie fondée sur le respect de l’autre et sans doute sur le don. Nous pouvons nous déconditionner des intoxications du modèle actuel qui ne cherche qu’à prolonger sa survie de quelques années, créant et cultivant nos frustrations pour que nous consommions davantage et faisions ainsi tourner la machine. A chacun de découvrir ce qui le rend vraiment heureux : créer, communiquer, aimer, contempler, partager… Désirons une société basée sur le partage, la coopération et la complémentarité, sensible aux notions de beauté et de compassion. Il me semble que nous pouvons évoluer jusqu’à partager la croyance qui est désormais pour moi une évidence : « ce que je fais à l’autre c’est à moi que je le fais ».

 

Le modèle de concurrence dans lequel nous vivons, entre pays, entre entreprises, entre humains, n’est pas viable à long terme : nous nous entretuons, nous nous excluons. Nous sommes arrivés à une époque où le modèle économique capitaliste, devenu libéral et quasi hégémonique, a atteint ses limites autodestructrices : une société riche où il n’y a de place pour presque plus personne ! Nous avons pu croire à une époque que ce modèle de concurrence acharnée existait dans la nature (la fameuse « loi de la jungle »). Je pense que ce qui prévaut dans la nature est davantage la complémentarité et la coopération. Voilà sur quoi appuyer notre nouveau modèle de société. Comme vous dites si bien : « les choix économiques sont toujours des choix de société » !

 

Article présent dans la rubrique Ce qui me tarabuste, Economie nouvelle, Le dysfonctionnement de l'économie.
 
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