Quand France Info prépare la justification de la violence d’Etat

« Les Black Blocs s’entraînent en France avant la COP21 ». Voilà comment une journaliste de France Info commente le rassemblement organisé fin octobre 2015 à Pont-de-Buis en Bretagne pour demander l’interdiction des armes de la police qui ont tué et mutilé des manifestants récemment. La manifestation du 23 avait lieu devant l’usine qui les fabrique.

Je reproduis ici la lettre qu’une personne présente à ce rassemblement, Philippe Peneau, a adressée à cette journaliste. Il témoigne de ce qui s’est vraiment passé, à cent lieues de son « reportage » : elle n’était visiblement pas sur place et s’est contentée de rapporter certains propos. C’est grave : elle prépare ainsi l’opinion à tolérer de prochaines violences d’Etat, à Paris lors de la Cop 21 ou à Notre Dame des Landes, par exemple.

Philippe Peneau donne à la fin de son courrier des liens vers des articles de journalistes présents sur les lieux.

Sa lettre :

J’ai lu et écouté l’info-zapping d’Anne-Laure Dagnet du 30 octobre 2015 sur France-Info.
Sous une photo, prise en 2009 à Strasbourg, de manifestants tous vêtus de noir et masqués, elle y présente le rassemblement du week-end des 23 au 25 octobre 2015 à Pont-de-buis contre les armes de la police comme une répétition pour les Blacks-Blocs en vue de la COP21 !

« Les Black Blocs s’entraînent en France avant la COP21
Les altermondialistes européens ont mené une opération, qui est passée inaperçue, ce week-end en Bretagne. Pour certains, cette action dans le Finistère était une répétition avant la COP21.
« Ils ont fait une répétition avant de frapper pendant la conférence climat en décembre à Paris ». Voilà comment un proche de Manuel Valls analyse une manifestation qui est passée inaperçue ce week-end dans le Finistère. Une centaine de jeunes anarchistes réunis pour un hommage à Rémi Fraisse ont tenté d’envahir la poudrerie Nobel Sport où sont fabriquées des grenades lacrymogènes. C’est à cause de l’une de ces grenades offensives lancées par les forces de l’ordre que le jeune homme est mort il y a un an, lors d’une manifestation sur le barrage de Sivens dans le Tarn.
Cet élu breton note que parmi les manifestants, ce week-end il y avait des « pros », armés d’explosifs, casqués, cagoulés, habillés entièrement de noir et qu’ils n’étaient pas tous Français. Pour lui, cette action dans le Finistère était une répétition avant la COP21. L’exécutif craint que des manifestations dégénèrent. « Il faudra les bloquer aux frontières » conseille ce connaisseur. « C’est le boulot des services de renseignements et eux aussi ils ont pu s’entraîner ce week-end » conclut le député. Notamment en prenant tous les renseignements utiles sur les manifestants du Finistère ».

J’ai participé à ce rassemblement. Je suis scandalisé par ce texte qui ne laisse absolument aucun doute : Mme Dagnet n’a pas mis les pieds à Pont de Buis. Elle brode un scénario imaginaire en se fiant aux seuls fantasmes d’un « proche du Premier Ministre ».
Je ne sais quels objectifs poursuit cette « journaliste » du Service Public. Une chose est sûre : elle n’honore pas sa profession. Et ses propos sont dangereux, tant ils consistent à instiller de la peur chez les lecteurs et les auditeurs, sans aucun fondement, et à appeler à une répression plus féroce encore, comme si cette répression n’était pas suffisante.
Madame, vous auriez appris en venant parler aux participants à ce rassemblement. Ils vous auraient expliqué pourquoi ils pensent indispensable de renoncer à doter la police d’armes qui mutilent et peuvent tuer. Qui tuent. Vous auriez rencontré plusieurs jeunes qui ont perdu un œil simplement parce qu’ils étaient présents dans une manifestation, et qu’un policier leur a tiré une « balle de défense » en plein visage. Ils vous en auraient expliqué les circonstances, vérifiables. Et elles vous auraient très certainement troublée. Vous auriez rencontré leurs parents, aussi, qui vous auraient dit leur souffrance de voir leurs fils cruellement blessés, parce que, simplement, un jour, ils sont allés dire non à un projet d’aéroport, ou, il y a un peu plus longtemps, à une réforme de l’université.

Voici ce que j’ai vécu à Pont de Buis.
J’ai 65 ans. Je suis en retraite. J’étais éducateur spécialisé. Je suis adhérent à l’ACIPA, l’association citoyenne contre le projet d’aéroport de Notre Dame des Landes. Je suis membre d’un Collectif local contre ce projet.
J’ai bien sûr été très concerné par la mort de Rémi Fraisse, le jeune militant écologiste tué à Sivens par une grenade de la police il y a un an. Je savais qu’un tel drame aurait pu survenir, déjà, lors la tentative d’expulsion de la ZAD de Notre Dame des Landes, à l’automne 2012, tant les interventions policières avaient été brutales. Pendant toute la durée des affrontements, nous avions craint pour la vie des jeunes – et des moins jeunes – défenseurs de la zone.
J’ai été fortement touché par les blessures infligées à de jeunes manifestants le 22 février 2014 à Nantes, lors de la grande manifestation contre le projet d’aéroport. Trois d’entre eux ont perdu un œil ce jour-là suite à des tirs policiers à hauteur de visage. J’avais exprimé ma désapprobation totale avec l’attitude de certains manifestants suite à l’interdiction de traverser le centre-ville de Nantes, mais, à mes yeux, cela ne justifiait en rien la très violente répression exercée par la police. Des vidéos visionnées par la suite avaient fini de me convaincre, si besoin était, de la réaction démesurée des forces de l’ordre, et de leur usage incontrôlé des armes (notamment Flashball et LBD).
Je savais que d’autres personnes, surtout des jeunes, ont eu à subir de graves blessures du fait des armes de la police, dans des circonstances très diverses.
J’ai suivi une partie des débats de la Commission d’enquête parlementaire sur le maintien de l’ordre, et constaté qu’elle avait été conclue par un rapport que son propre président, Noël Mamère, a refusé de voter, tellement il ne retenait rien concernant l’usage des armes policières.
Lorsque j’ai appris que l’Assemblée des blessés prenait l’initiative d’un rassemblement autour de cette question, qui plus est juste un an après la mort du jeune Rémi, je me suis dit que je me devais d’y participer, pour demander, moi aussi, l’interdiction de ces armes dites « non létales », mais qui, contrairement à leur dénomination, peuvent tuer, et en ont déjà fait la preuve.
Il me semblait important de ne pas laisser penser que seuls quelques jeunes étaient concernés par cette question relative à l’exercice des droits démocratiques.
J’ai participé à la journée du vendredi 23 octobre. J’y suis allé avec ma femme Noémi. Et avec une amie, membre d’ATTAC, Geneviève.
Nous devions être un peu plus de 400 personnes, rassemblées près de la gare de Pont-de-Buis. Il y avait bien sûr beaucoup de jeunes, parmi lesquels des représentants des blessés, Pierre et Joachim. Mais aussi un bon nombre de plus âgés. J’ai retrouvé les parents de Pierre, fait la connaissance de ceux de Quentin. Il y avait des enfants, et même quelques poussettes avec de très petits.
Quelques participants au rassemblement avaient cru bon de se masquer le visage (attirant l’intérêt de quelques photographes à la recherche d’images « à sensations »), mais l’immense majorité se présentaient à visage découvert, comme le montrent bien, sans aucune ambiguïté, toutes les photos en plan large.
A un moment, la mère de Pierre m’a demandé si je voulais bien porter une banderole.C’était la grande fresque peinte par Pierre en hommage à Rémi (« Rémi, présent dans nos luttes »). Je n’étais pas venu pour rien. J’étais heureux de porter cette fresque, sur un muret de Pont de Buis, avec la maman de Quentin. J’imaginais la souffrance infligée aux parents de Rémi et de tous les jeunes mutilés.
Nous avons attendu une heure trente sur cette place. Nombre de manifestants avaient du mal à rejoindre le lieu de regroupement : la police rendait l’accès difficile.
Après la lecture d’un beau texte de Jean-Pierre Fraisse, le père de Rémi, puis une courte prise de parole qui a resitué ce que nous étions tous venus faire là, nous avons marché ensemble, avec l’objectif de faire le tour de l’usine de NobelSport, où sont fabriquées ces armes. Si la police nous bloque, ont annoncé les organisateurs, nous ferons une conférence de presse devant le barrage. Une large banderole ouvrait la marche : « Résistances contre les violences policières, sociales, économiques ».
Nous nous préparions à faire les 4 kms annoncés. Beaucoup scandaient des slogans dénonçant la violence policière « La police mutile, la police assassine, la Justice relaxe ». D’autres portaient des pancartes. Quelques « ACAB », mais aussi des portraits de Rémi et des photos de personnes blessées ces dernières années, et puis « Non à l’Etat qui blesse mutile tue les mômes qui changent le monde »… Certains avaient confectionné de grandes armes factices en carton pâte. On m’a confié une pancarte « Désarmons la police ».
Avant notre premier kilomètre, sur un pont au bas d’une grande descente, en plein village, la police avait érigé un barrage de grille et plexiglas, de même nature que celui qu’elle avait installé en travers du cours des 50 otages pour interdire la marche dans Nantes le 22 février 2014. Derrière le mur transparent, des cars de CRS et de gendarmes, et quelques personnels casqués.
Quelques manifestants se sont pressés contre le mur, en le frappant des poings. Quelques insultes ont fusé. Quelques cailloux glanés à proximité sont passés par dessus le barrage, sans pouvoir atteindre les policiers hors de portée. Mais ce sont surtout les slogans qui ont repris de la vigueur. Le mur a vite été tagué. Visiblement, l’intention n’était pas d’aller affronter la police. La plus grande partie des manifestants restait à distance. Mais la situation était dangereuse. Si la police décidait de lancer des grenades lacrymogènes, se mettre à l’abri des gaz pouvait se révéler difficile dans ce cul de sac. Nous avons décidé de nous porter à l’avant, au contact du mur, pour demander à chacun de garder son calme. Si les manifestants voulaient faire entendre leur message, dénoncer la violence de la police, il ne fallait pas laisser se dérouler le scénario trop habituel malheureusement, il ne fallait pas laisser mettre en scène la violence de quelques manifestants. Il nous fallait éviter ce piège classique : les images de manifestants violents (les plus croustillantes pour les médias) détournent l’attention de l’opinion que nous voulons sensibiliser et permettent aux autorités de justifier la répression la plus dure (bien qu’elle soit injustifiable).
Pancarte à bout de bras, nous avons parlé à chacun. Plusieurs autres participants contribuaient à l’apaisement. Le calme est revenu. La banderole a été fixée au barrage. Les organisateurs ont mis en place la conférence de presse, exactement comme ils l’avaient annoncé, dos au mur de la police. Joachim et Pierre ont très clairement expliqué l’objet de la manifestation à une dizaine de journalistes. Puis tout le monde a reflué. Les jeunes organisateurs ont dû insister un peu pour obtenir que la petite vingtaine de manifestants plus désireux d’aller au contact accepte de faire demi -tour. Avant de partir, un homme est grimpé au-dessus du mur et a aspergé le véhicule de la gendarmerie de peinture orange. Finalement tout le monde a remonté tranquillement la route.
Un peu plus loin, le cortège est passé à proximité d’une passerelle qui pouvait rapprocher de l’usine.
Une petite partie des marcheurs s’est élancée vers le groupe de policiers, qui en interdisaient le franchissement. Leurs boucliers ont très vite été recouverts de peinture bleue. De nouveau des projectiles ont volé. Le groupe de policiers a reculé sur la passerelle, et une bonne quinzaine de grenade lacrymogènes ont rapidement dispersé la foule, qui est alors remontée au centre du village.
La première journée du rassemblement tirait à sa fin. Après un courte pause devant la gare, la plupart des participants se sont déplacés alors vers le « campement » installé non loin où était annoncé un fest-noz et où devaient se dérouler les rencontres-débats des deux prochains jours.
Pour notre part, nous avons quitté le rassemblement pour reprendre la route.
Nous étions plutôt satisfaits de cette journée. Il nous semblait avoir été présents là où nous le devions.
La lecture de l’article d’Ouest-France le lendemain nous a semblé bien relater l’événement.
Nous étions à cent lieux de nous dire que nous avions participé à l’entraînement des blacks-blocs en préparation de la COP21 !!!!…

Philippe Peneau le 3 novembre 2015
p.peneau _chez_ free.fr

PJ.

1- Intervention de l’Assemblée des blessés devant la Mission d’enquête parlementaire sur le maintien de l’ordre :
https://collectif8juillet.wordpress.com/2015/06/01/intervention-de-lassemblee-des-blesses-lors-de-la-mission-denquete-parlementaire-sur-le-maintien-de-lordre/

2- Article de Reporterre par les journalistes présents sur les lieux :
http://www.reporterre.net/Dans-le-Finistere-une-manifestation-calme-pour-denoncer-l-usine-a-grenades

3- Suivi du rassemblement du 23 octobre 2015 par le Télégramme :
http://www.letelegramme.fr/bretagne/pont-de-buis-la-manifestation-contre-les-armes-policieres-en-direct-23-10-2015-10823808.php

4- Suivi du Rassemblement du 23 octobre 2015 par Ouest-France :
http://www.ouest-france.fr/manifestation-pont-de-buis-apres-la-mort-de-remi-fraisse-trois-jours-contre-les-armes-de-la-police-3789039

Article présent dans la rubrique Engagements, Notre Dame des Landes.
 
N'hésitez pas à laisser votre commentaire ci-dessous.

Laisser un commentaire !

Votre prénom :
 
Votre message :