Guerre idéologique suite : le rôle de Davos

Je complète mon article précédent en donnant un éclairage sur le Forum économique mondial qui se réunit chaque année à Davos (on connait davantage le mot « Davos » que celui du Forum) et qui est particulièrement actif dans la mise en place de l’idéologie néolibérale portée par la minorité des puissants de ce monde.

Le Forum économique mondial a été créé en 1971 par Klaus Schwab, professeur d’économie en Suisse, qui en est le président. Ce forum réunit la haute élite mondiale : des responsables de multinationales, les chefs d’Etats de grandes puissances du monde entier, des représentants d’organisations internationales comme l’ONU et le FMI, des banquiers, des journalistes… Son objectif est clairement affiché (site) : « Le Forum Économique Mondial est l’organisation internationale qui œuvre à la coopération entre le secteur public et le privé« . Cet objectif a été si bien suivi depuis 50 ans que les liens entre le public et les grandes entreprises sont maintenant inextricablement emberlificotés : le secteur public est désormais au service des intérêts privés dans les domaines de l’énergie, de la production agricole, des communications, du médicament, etc.

« Davos, c’est la réunion de famille des gens qui ont cassé le monde » résume Anand Giridharadas, ancien chroniqueur au New York Times, auteur de The Winners Take All (Les vainqueurs emportent tout). Depuis des décennies, cette organisation a diffusé largement les idées néolibérales et surtout, par la proximité entre les participants, a œuvré à les mettre en place.

Peu de gens ont un point de vue aussi tranché qu’A. Giridharadas. L’ élite mondiale affiche en effet un vernis de préoccupations sociales, sanitaires et désormais aussi environnementales. Pendant longtemps, le discours de Davos reposait sur la théorie du ruissellement : plus les riches sont riches et plus il y a des miettes pour les pauvres, alléluia ! Cette théorie a fait long feu comme l’ont démontré plusieurs économistes (voir notamment l’article de Gaël Giraud).

En 2014, le sommet de Davos portait sur le thème des inégalités, le Forum économique mondial s’inquiétant de ce qu’elles soient devenues de plus en plus criantes. Comme l’a écrit Médiapart : « Longtemps encouragées, voire programmées, les inégalités commencent à être considérées comme une menace pour l’ensemble du système. Car pendant que les milliardaires accumulent les milliards, les classes moyennes disparaissent, les pauvres sombrent. Il n’y a plus d’adhésion large des sociétés civiles. Et l’économie réelle ne repart toujours pas. Les responsables de Davos mesurent l’étendue des dangers : la mainmise sur les institutions politiques et représentatives par les plus riches est devenue trop voyante pour qu’elle n’amène pas des contestations de plus en plus fortes du système. » Face aux risques globaux qu’elle identifie, l’organisation apporte toujours SA solution : toujours plus de « coopération » public-privé, toujours plus de « coordination » mondiale.

Aujourd’hui, l’organisation affirme que notre salut viendra de la quatrième révolution industrielle, celle de l’intelligence artificielle. Klaus Schwab nous dessine un avenir heureux transhumaniste. Dans une vidéo enthousiaste, il affirme : « Nous amenons un changement à une vitesse, une échelle et une force jamais connues auparavant. Il affectera l’essence même de notre expérience humaine. » Dans une autre (voir à la 18e minute) :  » A la fin, la 4e révolution industrielle aboutira à une fusion de nos identités physique, numérique et biologique« . Là, ça ne rigole plus. Cette vision transhumaniste d’une nature humaine technologisée et transformée, possiblement totalement contrôlée, est un danger majeur pour l’humanité !

Et dans la foulée, la crise du Covid permet à cette élite mondiale de tenter d’accélérer les transformations qu’elle veut imposer. C’est une justification pour une « grande remise à zéro » monétaire, économique, financière. Christine Lagarde, alors directrice du FMI, en parlait depuis un moment. En juin 2020, Klaus Schwab en a fait un ardent plaidoyer : « le monde doit agir conjointement et rapidement pour repenser tous les aspects de nos sociétés et économies, de l’éducation aux contrats sociaux en passant par les conditions de travail. Chaque pays, des États-Unis à la Chine, doit participer, et chaque industrie, du pétrole et du gaz à la technologie, doit être transformée. Pour faire simple, nous avons besoin d’une « Grande remise à zéro » du capitalisme. » Traduction : l’important c’est de sauver le capitalisme (en tout cas nos profits) et de le faire de façon mondialisée. Pourtant, est-ce que ce ne sont pas des pays individualisés, par des décisions qui leur étaient propres, qui ont su le mieux protéger leurs populations de l’épidémie récente ? La Suède, la Corée du sud, de nombreux pays africains, le Vénézuela…

Quand le président du Forum économique mondial conclut ainsi son discours : « la pandémie représente une fenêtre d’opportunité rare mais étroite pour repenser, réinventer et réinitialiser notre monde afin de créer un avenir plus sain, plus équitable et plus prospère« , je ne crois pas un instant à la seconde partie de la phrase : si cette organisation avait voulu un tel monde, elle l’aurait réalisé (ou en tout cas bien avancé) depuis longtemps. Et la première partie de la phrase m’inquiète. Je ne suis pas la seule. Ceux qui alertent sur les risques de ce « grand reset » aux mains de cette élite mondialisée se font souvent traiter de complotistes. Désolée, il ne s’agit pas d’un complot : le programme de cette élite n’est pas caché, il est annoncé clairement. Le truc c’est que les principaux médias (qui appartiennent à ces puissances) en parlent très peu (le cachent-ils ?) et surtout ne réfléchissent pas aux risques encourus. Merci à tous ceux qui le font à leur place. A nous de nous informer et de réfléchir.

Article présent dans la rubrique Ce qui me tarabuste, Démocratie en question, Le dysfonctionnement de l'économie.
 
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7 commentaires

  1. Gerard :

    Cette situation est annoncée dans les traditions en Inde et bien d’autres. Cette époque correspond au Kali Youga l’âge sombre. Un grand métaphysicien français évoquait dans ses livres inspirés et alertait sur l’orientation prise par l’humanité. Il y a plus de 60 ans il écrivait « La crise du monde moderne ». À la fin d’un cycle ce ne sont pas les meilleurs des hommes qui gouvernent. Il y aurait tant à dire dans l’abandon des vrais principes et de les suivre… C’est la course à la technologie, à l’argent, pilotée par des gens et entités sans principes.

    Le 2 décembre 2020
  2. Guy :

    Merci pour cet éclairage. Déjà en 2008, Naomi Klein dans « La stratégie du choc » décrivait comment, à l’occasion de crises, de désastres comme le cyclone Katarina à la Nouvelle Orléans, les tenants de l’ultralibéralisme profitent de la sidération de la population pour enclencher des opérations qui renforcent leur contrôle sur l’ensemble de la planète.

    Le 3 décembre 2020
  3. Geneviève :

    J’ajoute deux exemples actuels de cette « coopération »(prise de pouvoir) public-privé. Installée au niveau supra national, elle est d’autant plus puissante. L’OMS est aujourd’hui financée à 80 % par des fonds privés, ceux qui servent les intérêts de Bigpharma. Un accord est en cours entre la FAO, l’organe de l’ONU chargé de l’agriculture et de l’alimentation, et Croplife, une organisation qui regroupe des multinationales tirant plus d’un tiers de leurs revenus de la vente de pesticides ultra dangereux.

    Le 3 décembre 2020
  4. Donatien :

    DAVOS

    En 1970, j’avais une licence, mais je voulais reprendre mes études. Personne ne pouvant les financer, j’ai décidé de le faire moi-même. J’ai été aidé en cela par le fait que mon université, New York University (NYU) connaissait bien le problème et s’y était adapté : les cours de Maîtrise et de Doctorat se donnaient en soirée, d’où la possibilité de travailler dans la journée et d’aller en cours le soir. J’avais aussi la chance de travailler du vendredi au mardi. Cela me laissait deux jours pour étudier par moi-même, rédiger les mémoires et préparer les examens. La vie de famille en souffrait, naturellement, mais l’obtention d’un Master II en 1973 fit passer la pilule.

    Si je révèle ces détails, c’est parce que mon patron était PDG d’une grande compagnie de transport aérien. Il recevait des amis, des connaissances et des collègues. Pour eux, j’étais souvent invisible. Quand je ne l’étais pas, je dois préciser pour être équitable, qu’ils me traitaient toujours avec bonne humeur et politesse (ce qui n’était pas le cas de leurs épouses).

    À l’apéritif, autour d’un repas ou assis près de la piscine, ils parlaient affaires. Cela pouvait aller de la bourse à la politique, en passant par l’acquisition ou l’abandon d’une usine. Dans son excellent roman « The Couple next Door », Shari Lapena dit qu’on ne peut pas être riche sans être indifférent au malheur des autres, et qu’on ne peut pas y être indifférent sans également devenir cruel.

    Au milieu de ces discussions, j’ai souvent entendu les expressions : « On va faire un malheur » ou « On va faire un massacre ». Dans leur esprit, ils ne pensaient qu’aux bénéfices à retirer de leurs manœuvres financières. Personnellement, je ne pouvais m’empêcher de penser au vrai malheur et au vrai massacre de ceux qui allaient perdre leur emploi, allant, dans certains cas, jusqu’à se retrouver à la rue et jusqu’à être conduit au suicide.

    Quand je songe à Davos, j’imagine cette expérience personnelle multipliée par mille.

    Le 7 décembre 2020
  5. Geneviève :

    Je recopie ci après le commentaire d’une personne d’Attac à propos de l’article du Monde « Le comité d’éthique du ministère de la défense donne son feu vert à la recherche sur le « soldat augmenté » »

    Doutez-vous encore que l’agenda qui se tient derrière l’étrangeté de ce que nous vivons depuis début 2020 soit transhumaniste ?

    Après l’introduction dans la loi bioéthique de l’autorisation de l’avortement à 9 mois de grossesse et autres horreurs, qui toutes ouvrent la voie à des abjections sous couvert de « science », c’est au tour du comité d’éthique du ministère de la défense de pousser le bouchon : il vient de donner son feu vert pour la recherche sur le « soldat augmenté ».

    C’est à dire un feu vert à la modification artificielle du corps et de l’esprit de l’être humain en vue de « l’améliorer » en augmentant ses performances physiques ou psychiques. Un soldat qui voit mieux, entend mieux, réfléchit plus vite, possède un exosquelette décuplant sa force physique, ou qui peut être « guidé à distance » grâce à une puce implantée dans le cerveau, serait, selon les Dr Frankenstein, un soldat « plus compétitif ».

    Car, bien sûr, « le progrès » pour l’être humain, selon la vision des promoteurs de ces technologies, n’est pas de cesser les guerres absurdes dont ils sont les seuls bénéficiaires, mais de modifier technologiquement l’humain pour en faire une machine de guerre toujours plus performante.

    L’argument utilisé est aussi pauvre que les motivations qui président à cette décision : si nous ne le faisons pas, d’autres le feront, et nous serons alors « en retard » et donc non compétitifs. Un argument qui avait été déjà utilisé dés le début des recherches sur les modifications génétiques du vivant.

    Au lieu de combattre le scientisme et d’interdire mondialement la dérive transhumaniste, c’est le nivellement par le bas qui prévaut : le moins éclairé et le plus égaré donne le LA de l’humanité.

    Notre responsabilité à nous « la société civile » est aussi engagée : en acceptant un récit culturel commun qui réduit la définition de l’être humain à un amas matériel de cellules doté d’un ordinateur central appelé « cerveau », nous pavons la voie pour l’avènement du transhumanisme. Car si l’être humain n’est que cela, pourquoi alors refuser de « l’augmenter » ?

    Nous sommes donc bien à la croisée des chemins.

    Inutile de pousser des cris d’orfraie si par ailleurs nous demeurons accrochés à cette définition matérialiste du vivant et de l’humain, car le transhumanisme n’en est que l’aboutissement logique.

    Si nous voulons défendre notre humanité, alors il va nous falloir promouvoir un récit culturel commun véhiculant une définition non matérialiste du vivant et de l’être humain.

    Une définition qui démontre que l’être humain n’a nul besoin d’être modifié ou augmenté car il possède déjà des capacités immenses, capacités qu’une définition dominante trop pauvre et trop réductrice nous a empêchés de découvrir collectivement.

    A chacun d’apprécier en son âme et conscience si ses certitudes au sujet de « qui nous sommes » et « ce qu’est la réalité » ouvre ou ferme la voie au transhumanisme.

    Ce n’est plus une question que nous pouvons repousser dans un futur improbable : les conséquences de sa réponse se déploient maintenant sous nos yeux et s’emploient à modeler la réalité pour de vrai, ici et maintenant.

    Le 7 décembre 2020
  6. Geneviève :

    merci beaucoup Donatien pour ce témoignage ! Je connais des riches qui ne semblent pas indifférents mais sont-ils aussi riches que ceux là ? Et surtout sont-il attachés à faire grossir leur fortune par des opérations boursières et financières ??? La Bourse est à mon avis une calamité, elle devrait être supprimée.

    En fait, profondément, il me semble qu’il s’agit d’un système mal fichu plutôt que de personnes… Est-ce qu’à leur place nous n’agirions pas comme eux ? Personne ne peut le dire. Les personnes sont façonnées par le système et réciproquement celles qui ont des « aptitudes » à bien y correspondre y « grimpent » facilement… Je me rappelle d’un ami qui me rapportait les paroles de son père, haut gradé dans l’armée française : « il n’y a pas plus de cons à l’armée qu’ailleurs mais on les voit plus ». Et je lui répondais « si on les voit plus, c’est que le système est bien fait pour les cons ».

    Quelle époque où tout apparait plus clairement !!

    Le 7 décembre 2020
  7. Agnès :

    Merci de vos écrits et débats .
    J’ai appris beaucoup ici.
    Merci

    Le 4 janvier 2021

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