Notre Dame des Landes 2040

Je recopie ici la nouvelle que Valérie a envoyée au concours de nouvelles lancé par le Conseil régional sur le thème « Pays de la Loire 2040 ». Celle-ci n’a pas été primée, vous ne la trouverez donc pas sur le site du Conseil régional. Pourtant elle est bien sympathique.

 

Le doctorat de Roberto

Docteur en histoire contemporaine. Assis au pied de son chêne favori, Roberto se le répétait doucement… Doctor en historia contemporanea… Dans sa langue maternelle, ça sonnait bien aussi. Il avait même reçu les félicitations du jury ! Il ne s’y attendait pas. L’heure était à la dégustation intérieure, à la quiétude, pour savourer l’issue de cette année de thèse.

– Félicitations Roberto, tu viens fêter ça au Triton Crêté ?

– Oui oui, dans un moment…

Il ne resterait pas seul longtemps, il rejoindrait rapidement Emmanuelle et leurs amis dans leur café préféré pour fêter sa réussite.

Pour l’heure, il avait encore envie de goûter tranquillement sa réussite, il se repassait intérieurement le film de sa soutenance de thèse, il prenait le temps d’apprécier le ton de certaines questions du jury, l’aisance avec laquelle il avait répondu à la plupart d’entre elles, les commentaires élogieux émis par le spécialiste britannique avec lequel ils étaient en visio… Son sujet de thèse avait été choisi il y a près de deux ans avec son professeur d’université de Mexico et ils savaient tous deux qu’il était ardu : « Les difficultés des années 10 à prendre le Grand Tournant ». Le Grand Tournant, plus connu sous son appellation anglo-saxonne, « the Great Turning », était étudié en histoire contemporaine, analysé sous différents angles : l’énergie, les relations mondiales, le système économique, l’agriculture, le climat… La période qui l’avait précédé, de 1970 à 2020, était moins étudiée et les professeurs avaient tendance à passer un peu vite sur cette partie du cours : on retenait de façon trop simpliste que l’ère actuelle avait succédé à l’Anthropocène, un peu comme la Renaissance avait succédé au Moyen Age sans que l’on sache s’il y avait eu un « entre-deux ».

Roberto prit une profonde inspiration et laissa son regard balayer le bocage. Il s’était habitué à toute cette verdure. Il sourit en se rappelant ses appréhensions quand il avait débarqué dans ce coin de l’Ouest de la France, premier étudiant Gandhius de l’Université Erdre et Gesvres. Du vert partout, des champs, des haies, des forêts, sans parler des mares et des animaux. Au début, il s’était senti mal à l’aise, comme si ce monde végétal voulait l’absorber, comme si une partie de lui-même le désirait aussi. Par prudence, il s’était longtemps tenu à distance de ces forces inconnues.

La verdure, il connaissait pourtant : partout dans sa ville de Mexico on cultivait des légumes, des fruits, parfois même des céréales. On en trouvait au pied des immeubles, sur les toits, les terrasses, les balcons, dans les jardins publics, les anciens terrains de sport et même sur des murs verticaux. Mais jamais il n’avait vu de si grande étendue de verdure, un paysage entier où elle règne en maître, accueillant toutefois généreusement les constructions diverses, souvent dispersées. Au Mexique, la seule campagne qu’il connaissait était jaune, aride, sèche où seuls les cactus prospéraient.

De là où il était, Roberto apercevait l’une des yourtes de l’université. D’un blanc éclatant, elle se détachait nettement dans le paysage. Il se dit qu’il irait prendre quelques photos avant de partir, des photos+ d’ailleurs car ce serait bien que les visiteurs de ses pages sentent la fraicheur qui règne à l’intérieur de ces yourtes. Il garderait pour lui les contacts intimes qu’il avait partagés avec Emmanuelle, à la faveur de la semi-obscurité de ces lieux…

Outre ces bons moments, Roberto conserverait un excellent souvenir de cette année d’étude. Comme ailleurs dans le monde, les universités étaient, depuis une vingtaine d’années, éclatées sur un très grand nombre de lieux pour être au plus près des étudiants, réduisant ainsi considérablement leurs besoins de transport. Une partie des professeurs intervenaient en visio-conférences interactives, parfois d’un autre pays et le bilan de cette organisation était très positif. Rien que pour l’université d’Erdre et Gesvres, ils étaient environ 300 étudiants, du premier cycle jusqu’au doctorat, et pour une vingtaine de disciplines : on travaillait par petits groupes locaux, reliés à d’autres groupes dans le monde entier et c’était très stimulant. Sur ce point, il n’avait pas été dépaysé par rapport à ses premières années d’études supérieures à Mexico. Il avait même retrouvé certains de ses professeurs dans les visio-conférences.

« Les copains vont s’impatienter » se dit Roberto. Il enfourcha son vélo pour les retrouver au Triton Crêté. Il pédalait nonchalamment avec l’impression d’être encore sur un petit nuage J.

– Félicitations Roberto !

– Notre premier étudiant Gandhius et il reçoit les félicitations du jury ! Cela devrait en attirer d’autres !

Roberto reconnut ses amis proches mais aussi d’autres étudiants qu’il connaissait moins et même deux professeurs. Il les remercia chaleureusement et paya sa tournée de bière locale.

– On va faire une interview pour notre webzine ! lança Emmanuelle. Roberto, pouvez-vous nous dire pourquoi avez-vous choisi l’Université Erdre et Gesvres pour votre année de thèse ?

– Parce que je voulais connaître une jolie Française !

– Mais encore ? reprit Emmanuelle aucunement troublée par les rires de l’assemblée.

– Mon sujet de thèse en histoire contemporaine était : « Les difficultés des années 10 à prendre le Grand Tournant ». Avec l’accord de mon professeur, j’ai décidé de le traiter sous l’angle d’un cas concret et j’ai choisi le projet d’aéroport à Notre Dame des Landes, projet qui a duré plusieurs décennies avant d’être définitivement abandonné dans les années 10. Le fait qu’il se soit maintenu aussi longtemps me laissait penser que cela avait à voir avec les difficultés des années 10 à prendre le Grand Tournant.

– Et alors ?

– Et bien, ça me semblait pertinent de venir ici, sur les terres qui ont été concernées par ce projet, pour étudier les archives locales et aussi rencontrer certains acteurs de l’époque toujours vivants.

– Vous en avez rencontré ?

– Oui, certains vivent toujours ici d’ailleurs. J’ai rencontré plusieurs nonagénaires et trois centenaires. Il faut croire que l’engagement militant conserve ! Ceux qui avaient lutté activement pour préserver les terres de Notre Dame des Landes et arrêter le projet avaient la mémoire nettement plus vive que ceux qui avaient souhaité l’implantation d’un nouvel aéroport. Sous l’angle qui était le mien, celui des difficultés à prendre le Grand Tournant, il était indispensable que j’écoute l’ensemble des points de vue de l’époque. Les archives locales m’ont aussi beaucoup apporté.

– Quel enseignement retirez-vous de votre année ici ?

– C’est sans doute bien trop tôt pour dresser un bilan complet. Je peux déjà dire que j’ai passé une année formidable, mon sujet de thèse m’a passionné, j’espère que ses conclusions auront des prolongements, en psycho-sociologie notamment, en sociocratie également. Cette année a été aussi formidable par les personnes que j’ai rencontrées, les amis que je me suis fait… et aussi le contact avec cette nature, belle et généreuse, je n’avais jamais connu une nature aussi préservée dans mon pays.

– Merci Roberto et bonne chance pour la suite de votre parcours !

Emmanuelle arrêta sa webcaméra et sourit :

– Et maintenant trinquons ! A Roberto ! A cette fin d’année, à nous tous !

Les verres ont continué à être remplis, vidés, re-remplis. L’ambiance du Triton Crêté était à la fête.

Soudain Roberto repéra un nouveau message sur son sweetphone : « The next european flight to Mexico will take place in Frankfort airport on the 20 th of July 2040, at 9.30 am ». Il s’était abonné à ce service il y a quelques semaines, indiquant qu’il partirait de l’Ouest de la France et désirait se rendre à Mexico. Il lui avait fallu bien sûr verser des arrhes substantielles. De la sorte, il recevait l’indication des prochains vols européens à destination de Mexico. La plate-forme de départ était déterminée en fonction de la localisation de tous les inscrits (futurs passagers), de façon à minimiser la quantité globale d’énergies fossiles dépensées pour rejoindre l’aéroport.

Francfort… Il aurait préféré Paris… En même temps, un départ le 20 juillet lui laissait un peu plus d’un mois, il pouvait faire étape à Paris en se rendant à Francfort… Il savait qu’il passerait une bonne partie de la nuit à étudier tous les itinéraires et combinaisons possibles pour le voyage à venir : taxi collectif, car, train, covoiturage, auberges, coachsurfing… Un tel voyage prenait du temps mais c’était une nouvelle aventure et elle le réjouissait d’avance.

Valérie, institutrice à Notre Dame des Landes, coordinatrice d’une rédaction collective

 

 

 

 

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4 commentaires

  1. Jacques :

    Que cette bonne et belle nouvelle se répande !!!
    Il faut la diffuser largement, nous avons besoin de poésie pour traverser ce moment de l’Histoire !

    Le 27 février 2013
  2. Thierry :

    Bonne uchronie

    Le 2 mars 2013
  3. Nathalie :

    Que la prophétie se réalise ! Bravo !

    Le 3 mars 2013
  4. Marie :

    Génial, bien écrit, et plein d’espoir
    M' »étonne pas en revanche qu’elle n’ait pas été primée, le grand tournant n’est pas encore assimilé par ceux qui décident.

    Le 24 mai 2013

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