Pourquoi un tel fossé entre les citoyens et le monde politique ?

Presque tous les jours, je suis interpellée sur la question du fossé grandissant entre les citoyens « ordinaires » et le monde politique. Que ce soit directement, par des amis qui expriment leur mal-être dans ce monde où ceux qui prennent les décisions politiques semblent « vivre dans un autre monde » ; que ce soit indirectement par l’avalanche de messages d’associations, de particuliers qui semblent « crier dans le désert ».

Avec ma petite expérience de presque deux ans dans un tout petit territoire du monde politique, à la fois au Conseil régional et à la fois au sein du mouvement politique Europe Ecologie les Verts, j’ai quelques éléments d’explication sur ce fossé :

Le monde politique est celui de la division exacerbée. Les querelles politiques ont remplacé les guerres de religions (c’est moins violent, c’est déjà ça). Il faut toujours creuser, amplifier les différences… tout simplement pour exister ! Et pour un parti politique, exister est la question cruciale. Des individus deviennent militants d’un parti parce qu’ils ont envie de défendre des idées. Mais assez vite, il s’agit aussi (surtout ? ) de défendre un appareil, pour que cet appareil se maintienne, existe, ait des moyens… Certains  militants deviennent des élus, d’autres salariés de collectivités locales ou collaborateurs d’élus… Ce  sont souvent les militants les plus actifs : défendre l’appareil c’est défendre leur emploi, leur revenu, leur position.

Deux personnes ayant des idées similaires sur certains points, divergentes sur d’autres, vont, du fait de trajectoires personnelles différentes, rejoindre l’une le parti A, l’autre le parti B. Leurs positions vont alors progressivement se figer dans les directives de leurs partis et un fossé va se creuser entre elles, les échanges deviendront difficiles, voire impossibles… Monde de la division exacerbée ! Dans les débats en assemblée, c’est très formel : les élus votent et argumentent d’après la ligne décidée par leur groupe. Même si l’argument déployé par le camp adverse peut les rejoindre, cela ne se fera pas dans le cadre de l’assemblée (peut-être ensuite, pas sûr…). Les points de vue évoluent donc très lentement… quand ils évoluent. Le dossier de Notre Dame des Landes est un bon exemple : les dirigeants locaux PS et UMP ont décidé de construire cet aéroport contre tout bon sens mais les militants ne remettent pas cette décision en cause (même si un certains nombre n’en pensent pas moins). Tous unis derrière le chef.

A l’intérieur d’un même parti, entre personnes partageant les mêmes idées, la compétition est aussi souvent sévère pour ceux qui cherchent à être investis pour une élection. De ce fait, les relations en prennent un coup.

Avec ce fonctionnement, j’ai compris qu’une bonne partie des énergies se déploient en interne au monde politique, le reste de la société peut rester sur le bord du chemin… et se sentir mis sur la touche. D’autre part, je n’ai pas rencontré pour ma part au cours de ma vie d’autres milieux où la division était aussi exacerbée. Il en existe bien sûr (certaines entreprises dirigées sur le mode de la compétition permanente par exemple) mais ce ne sont sans doute pas les façons de vivre de la majorité des gens. Et là aussi, il devient peut-être difficile de se comprendre entre une personne vivant dans un monde où la compétition et la division sont exacerbées (les politiciens par exemple) et les autres (majoritaires).

Enfin, beaucoup d’élus sont tellement pris par leurs fonctions d’élus (certains cumulent), et par l’investissement dans leur parti que la politique devient toute leur vie. De quoi creuser aussi un fossé avec les autres personnes qui vivent « dans un autre monde ».

Ce que je décris n’est pas inéluctable, il est le fruit du système politique français élitiste, bipolaire, imprégné par la mentalité française hiérarchique (malgré la Révolution française nous sommes restés un peuple qui raisonne en « supérieurs » et « inférieurs »). Ce système peut être changé. La démarche proposée par Etienne Chouard de faire écrire une nouvelle constitution par des citoyens tirés au sort est une belle idée (regardez son débat avec Ivan Blot sur la démocratie réelle), la 6e république du programme d’Europe Ecologie les Verts aussi : généralisation de la proportionnelle, décentralisation, fin du cumul des mandats, revalorisation du Parlement… (voir ce qu’en dit, longuement, Bastien François, conseiller régional Ile de France, passionné par le sujet).

 

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3 commentaires

  1. Frederic :

    tout pareil comme toi … Genevieve
    moi j’ai un petit bout de solution dans les modèles coopératifs..mais en effet il ont bien du mal à pénétrer le monde politique

    Le 4 mars 2012
  2. Claudine :

    Entièrement d’accord avec ton analyse
    Un autre mal français qui contribue au malaise : la formation des élites par l’ENA et autres « grandes » écoles parisiennes qui renforce la pensée unique
    Et encore un autre scandale : la non représentation des « minorités visibles » à l’Assemblée nationale entre autres parce que les états-majors politiques sont trop « frileux » pour leur laisser prendre des responsabilités ainsi que la moyenne d’âge élevée des élu-e-s (il faut limiter le nombre de mandats aussi dans le temps)
    la VIe République proposée par EELV est d’une urgence absolue !
    votons Eva Joly !

    Le 4 mars 2012
  3. Pascal :

    Comme le décrit si bien Eckart Tolle dans Nouvelle Terre, c’est la nature même de l’égo que de diviser. Si il ne divise pas, il meurt et il le sait (puisqu’il meurt de toute façon à la fin). L’existence de la différence idéologique est ainsi essentielle à la survie de l’individu politique, d’où sa rigidité à maintenir cette différence, quitte en effet à l’exacerber. Ce qui compte n’est pas l’idée (interchangeable et circonstancielle comme tu le dis) mais d’en avoir une s’opposant à celle d’un autre. On existe grâce à l’existence de l’opposant, chacun considérant avoir raison et l’autre tort, histoire de se construire une image positive de soi grâce à l’identification à l’idée. Une fois celle-ci choisie, on est donc condamné à la garder pour la maintenance même de l’égo. Le mécanisme est également démultiplié par l’égo collectif du parti politique qui surdétermine les égos individuels de ses « partisans ». Tout ça pour dire, qu’il est urgent en effet de réfléchir à des mécanismes politiques plus évolués, mais que ceux-ci vont de pair avec une évolution intérieure des individus politiques (et de la société en général). Dans la perspective de l’égo, on comprend ainsi très clairement que l’idée de décision par consensus est insupportable. C’est précisément la seule idée qui va générer un consensus contre elle ! Et pourtant, elle est l’avenir de l’humanité…arrêter de considérer que les minorités n’ont rien à dire mais, au contraire, les prendre en compte dans une vision du monde et des décisions plus éclairées car non divisées….

    Le 11 mars 2012

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