Pourquoi l’anglais est la pire langue internationale

Dix raisons de promouvoir l’Espéranto

Je publie ici l’article de Pierre Vexliard, professeur agrégé d’anglais, repenti comme il se nomme. Je l’ai trouvé très intéressant car outre les arguments de domination politique, culturelle et économique que beaucoup connaissent, Pierre apporte aussi des arguments relatifs à la langue anglaise elle-même.

Depuis la fin du deuxième conflit mondial, l’anglais s’est imposé comme langue internationale, malgré ses inconvénients évidents, et du fait que les États-Unis et le Royaume-Uni sortaient de la guerre comme les grands vainqueurs militaires, dans un contexte de préparation d’une nouvelle guerre militaire et idéologique contre l’autre vainqueur, l’Union Soviétique.

Dans ce contexte, les États-Unis prenaient le leadership et imposaient subrepticement leur langue comme moyen de communication dans l’ensemble du « monde libre ».

Lors de la fondation de la Société des Nations à l’issue de la première guerre mondiale l’Espéranto avait été proposé et accepté par différents pays. C’est la France cocardière qui a fait capoter le projet en voulant imposer sa langue qui avait connu son heure de gloire internationale aux XVIIIème et XIXème siècles. Elle a dû se contenter du titre de langue officielle des postes…

En France on prétendait défendre la francophonie, mais alors que l’Université était censée être à la pointe de cette fierté nationale, aujourd’hui on impose que des thèses soient rédigées et soutenues dans ce que les médias appellent de façon inepte « la langue de Shakespeare »[1]. Alors que dans les années 50, en sixième, on avait le choix en première langue vivante entre l’italien, l’espagnol, l’allemand et l’anglais, aujourd’hui c’est l’anglais qui est quasiment imposé.  

L’anglais ? Quel anglais ? Wall Street English, comme dit la pub ? « the king’s English », l’anglais tel que personne ne le parle et qu’on n’écrit pratiquement pas ? L’américain ? Lequel ? Celui de Boston ou celui du Mississipi ?

1 – L’anglais n’existe pas

Langue formée au carrefour du saxon, du gaélique, du scandinave, du français médiéval, du latin, restée langue parlée par des populations illettrées, libre de se forger d’évoluer au fil des siècles sans qu’aucune académie ne se risque à la codifier, langue protéiforme où l’on ne peut que constater, mais jamais expliquer, son état, l’anglais a, au mieux, des ensembles et sous-ensembles d’idiolectes. Une amie anglaise vivant en France me dit « Quand je retourne en Angleterre j’ai l’impression d’arriver dans un pays étranger tant la langue a changé ». Quand je m’exprime d’une certaine façon devant un ami étasunien du sud-est, il se moque de moi en disant « Ah oui, on parlait comme ça en Californie il y a 30 ans… »

2 – L’anglais, langue éclopée

Pour les étrangers apprenant l’anglais, il est difficile de faire des équivalences grammaticales. En effet, l’anglais a mais n’a pas de subjonctif, de conditionnel, de futur.

Comme un infirme qui a recours à des prothèses pour suppléer à l’absence de membres, l’anglais a recours à des auxiliaires (may, shall, will, going to, qui en américain parlé devient « gonna ») ou à d’autres formes comme le présent ou le prétérite pour exprimer le subjonctif ou le conditionnel. Selon les époques et les lieux l’usage de ces fonctions est très variable. Si les anglo-saxophones ont peine à s’y retrouver, comment font les étrangers ?

3 – Sens différents des formes

Pour ne prendre que les différences entre l’anglais des États-Unis  et le britannique, la syntaxe est source de malentendus. Par exemple un étasunien qui dit « I just saw him » voudra dire  » Je viens de le voir ». Dans la bouche d’un britannique ça signifiera « Je n’ai fait que le voir », sous-entendu rien de plus. Beaucoup de formes considérées comme fautes dans la grammaire britannique sont courantes de l’autre côté de l’Atlantique.

4 – « Mal nommer les choses… »

La fascinante liberté d’évolution de la langue anglaise ou des langues anglaises est un délice à contempler, à pratiquer tant bien que mal par les étrangers. Mais selon l’endroit où l’on se trouve, on risque bien des impairs. Tout d’abord, il suffit de consulter un dictionnaire pour voir que chaque mot anglais, selon le contexte ou l’endroit, selon la préposition ou postposition dont on l’accompagne, peut avoir entre trois et des dizaines de traductions. Voir l’histoire de ce traducteur français qui, en 1945, a commandé aux États-Unis des millions de tonnes de « corn » pour du blé, moyennant quoi on a vu arriver du maïs. Pour les Américains, il aurait fallu dire « wheat ».

J’ai souvenir de deux adolescentes qui dessinaient ensemble. L’Anglaise a demandé à l’Américaine si elle avait « a rubber », pour une gomme. Mais pour l’Américaine c’était… un préservatif.

5 – Orthographe et prononciation

Si beaucoup de langues se posent des questions sur la nécessité de simplifier leur orthographe, voire de supprimer des aberrations, l’anglais est de loin la langue où l’orthographe permet le moins de déterminer la prononciation et vice versa. Au point où le même mot se prononcera de façon différente non seulement selon les pays mais selon les régions. Un anglophone qui voit un mot nouveau est incapable de dire comment il se prononce. Des mots à l’orthographe identique pourront avoir des prononciations totalement différentes. « Lead » se prononce « li:d » si c’est le verbe signifiant conduire ou diriger, « led » si c’est du plomb. La lettre « o » se prononce « eou » dans « go », « o » dans « stop », « i » dans « women », « u » (comme « tout ») dans « to », « e » dans passion… Imaginons un mot qui s’écrirait « ghot ». Si l’anglais était logique il se prononcerait « fish »: « gh » dans « enough », par exemple, se prononce « f », « o » dan « women », devient « i », « t »dans tous les mots en « tion » se prononce « she ».

L’accent tonique est aussi un terrible piège pour les apprentis anglicistes. Dès que le mot a deux syllabes ou plus, où le placer ? Même dans le même pays, selon l’endroit…

La noix de pécan sera accentuée sur la première et prononcée « piiken »au nord des États-Unis et « pkâân » au sud. On multiplierait les exemples à l’infini.

6 – Apprentissage

Les particularités énoncées ci-dessus font qu’il est impossible d’enseigner l’anglais.

Les seuls non anglophones de naissance pouvant parler cette langue de façon à passer pour des « native speakers » l’ont apprise hors d’un système scolaire ou universitaire, dans un bain linguistique intense pendant plusieurs années. Il faut voir le nombre de citoyens étasuniens qui, ayant immigré depuis plusieurs décennies, parlent encore avec au minimum un fort accent, sinon dans une langue minimale truffée de tournures les signalant comme étrangers.

En France, Jack Lang a eu l’idée « géniale » d’enseigner une langue étrangère dès le primaire. Bien évidemment, à plus de 90% cette langue c’est l’anglais. Enseigné soit par l’instit qui ne la maîtrise absolument pas, soit par des profs du secondaire se faisant de petites vacations et qui n’ont pas une pédagogie adaptée à de jeunes enfants, soit par des anglophones résidant en France et qui n’ont ni la pédagogie, ni une langue exempte de particularismes régionaux ou nationaux. Le résultat est souvent moins bon arrivés au niveau du bac que pour des lycéens n’ayant pas eu d’initiation en primaire.

Le manque de règles fiables pour l’orthographe, la prononciation, la grammaire, déroute et démotive rapidement les enfants qui font rapidement l’impasse. La logique (?) de la langue n’offre aucune comparaison avec les autres structures linguistiques, en particulier celle du français. Essayer de faire une règle expose à présenter des dizaines d’exceptions.

Le prof en fin ou milieu de carrière enseigne une langue déjà obsolète.

7 – Impérialisme et racisme linguistique

 Dans un dialogue ou une conversation il s’établit naturellement une hiérarchie entre celui qui joue sur son terrain et celui qui essaie de s’y aventurer. L’anglophone se sent naturellement supérieur à l’étranger qui maîtrise mal sa langue. C’est un rapport colonisateur/colonisé, maître/serviteur. L’Anglais discutant avec le Français aura la même condescendance que Français en conversation avec l’Algérien.

La langue du colonisateur a la réputation d’être « chic ». Si bien que fleurissent en France les enseignes en pseudo-anglais, les jeux de mots vaseux sur « hair » pour les coiffeurs, et les ineptes apostrophes+s. (« PULL’S », « FRINGUE’S », « COURANT D’HAIR’S » etc.), ignorant l’origine et la fonction d’un génitif en « es » hérité du saxon, marquant l’appartenance, et où l’apostrophe est un substitut du « e ».

Il faudrait aussi parler de l’attirance de l’anglais par la chanson. Il est vrai que la métrique de la langue anglaise se prête mieux à la musique que le français, dont l’absence d’accent tonique donne en comparaison une impression de platitude. À tel point qu’en rap francophone, par exemple, les interprètes introduisent systématiquement un accent tonique sur l’avant-dernière syllabe, mais c’est tellement plus « trendy » de gratter sa guitare sur les répertoires d’outre-Manche et d’outre-Atlantique, voire de composer directement en anglais autour de trois mots formant vaguement des phrases !

Pour le monde des affaires et de la « tech » on a créé une forme d’anglais appauvri, le « globish »,  dont la relative simplicité n’efface que superficiellement les inconvénients de sa source tout en supprimant la véritable richesse de l’incomparable littérature anglophone.

9 – Et l’Europe, et l’ONU ?

N’est-il pas paradoxal que chez les Eurocrates de Bruxelles et Strasbourg la communication interne et externe se fasse en anglais, alors que le Royaume-Uni a claqué la porte et que les États-Unis se comportent quasiment en adversaires ?

L’anglais, langue éminemment ambigüe, se prête peut-être aux compromis mais surtout à des malentendus qui ne font qu’aggraver les conflits. Voir la résolution 242 de 1967 du Conseil de Sécurité de l’ONU suite à la guerre des 6 jours  » Withdrawal of Israel armed forces from territories occupied in the recent conflict », qui peut être comprise par LES territoires occupés » (donc la totalité) ou DES territoires occupés (donc une partie, fût-elle infime).

10 – Monolinguisme des anglophones

Considérant que l’anglais est international, les anglophones apprennent de moins en moins les langues étrangères. Aux États-Unis, le fait de bien parler une langue étrangère, comme Antony Blinken, par exemple, est suspect et un handicap dans une carrière politique.

Parler une langue étrangère, c’est s’ouvrir à un autre système de pensée, c’est développer une tolérance par rapport à la différence, découvrir les racines communes aux langues comme aux civilisations, respecter l’autre, aborder sa littérature sans passer par la traduction. C’est ce dont se privent les monolinguistes qui s’enferment dans la conviction de leur supériorité et débarquent dans les pays étrangers en comptant être compris partout.

Et l’Espéranto là-dedans ?

Face à tous ces inconvénients, il semble évident que l’usage généralisé d’une langue neutre, facile à enseigner, aux règles immuables, à la prononciation sans ambigüité par rapport à une orthographe simple et claire est la solution.

Utopie ? C’est une question de volonté politique. Israël a bien réussi à faire d’une langue morte avec un mode d’écriture autrement difficile à maîtriser (« pour moi, c’est de l’hébreu »), une langue vivante du quotidien.

En aidant dès l’enfance à la compréhension et la fonction d’une langue autre que la sienne, l’Espéranto ne dispense pas de l’apprentissage de langues étrangères réelles, au contraire, il en facilite l’apprentissage. Son caractère ludique n’a pas l’aspect décourageant de l’anglais, une langue que personne, y compris celles et ceux dont il est la langue maternelle, ne maîtrise réellement.

La solution serait l’enseignement de l’Espéranto en primaire par des profs des écoles qui peuvent facilement l’apprendre tout en l’enseignant au jour le jour, pour arriver à en faire la langue de communication obligatoire à l’échelle européenne avant de la faire, par l’exemple, adopter au monde entier. Il y a fort à parier que les Etats qui refusent la domination politique et culturelle anglo-saxonne seraient prêts à s’y associer.


[1] Un ami de Los Angeles me dit qu’il comprend mieux Shakespeare traduit en français qu’en version originale… L’anglais a beaucoup plus évolué depuis le XVIIème siècle que le français.

Article présent dans la rubrique Ce qui me tarabuste, Comment on en est arrivé là, Effondrement de l'enseignement.
 
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3 commentaires

  1. Geneviève :

    Est-ce que ce n’est pas un peu exagéré d’indiquer « repenti » après ta signature ?? Un prof agrégé d’anglais fait quand même du bon boulot ! Je suggère plutôt (au choix) : éveillé, pas dupe, lucide, iconoclaste, un peu conscient…

    Le 4 février 2025
  2. Pierre :

    je ne suis pas d’accord pour dire que les profs d’anglais font du bon boulot, ils essaient. Comme je le dis, c’est une langue insaisissable qui exige un bain linguistique intense, car elle ne peut s’appendre que par imprégnation et sans règles possibles. Elle ne s’explique pas, elle se constate dans ses différents états temporels, sociaux, et géographiques. Donc quand on est censé l’enseigner à raison de deux à trois sessions de 50 minutes par semaine à des classes démotivées de 30 à 32 gamins, entre une leçon de maths et une de gym, parfois en fin de journée selon des emplois du temps qui n’ont rien de pédagogiques, comment s’étonner d’entendre les parents dire « il (elle) a fait 7 ans d’anglais et ielle est incapable de tenir une conversation ». Entre la sixième et la terminale un élève aura eu de la chance s’il a été interrogé oralement plus d’une heure au total. Comment maîtriser un accent si subtil, aire la différence entre « sheet » et « shit », entre « beach » et « bitch » ? entre « think » et «  »sink » ? Les rares qui s’en tirent sont les petits favorisés qui ont pu séjourner en bain linguistique intense. Le prof ne peut, avec de l’affect, qu’en motiver quelques uns. Et pour quoi ? pour favoriser la domination économico-politico-culturelle deWall Street et de la City. Ce qui me faisait dire à mes élèves sur le tard qu’on devrait fusiller les profs d’anglais. (Avec leur esprit de contradiction ça devait les motiver).
    Tout ça pour dire que je maintiens « repenti », même si j’ai pu nouer de véritables amitiés qui perdurent avec quelques élèves .

    Je peux ajouter que l’anglais dans ses particularismes est une langue fascinante, qui permet toutes les créativités, chaque nom pouvant devenir verbe ou adjectif et vice-versa, par exemple. Le livre de James Baldwin que je suis en train de lire est une merveille de langue au service du récit. J’adore lire, écrire et parler cette langue, mais c’est comme le violon, ça demande des années intenses avant d’y prendre plaisir et d’éviter les fausses notes. C’est pourquoi ça n’en fait en aucun cas une langue internationale.

    Le 4 février 2025
  3. Geneviève :

    C’est marrant l’Espéranto est aussi une langue qui permet beaucoup de créativité avec des noms pouvant devenir verbes ou adjectifs et vice versa, des noms composés…

    Le 4 février 2025

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